Lisez les nouvelles des mois précédents

Nostalgie de betteraves !

Le mois d'avril se termine dans la sécheresse. Les champs de céréales jaunissent par secteurs, les semis de légumes lèvent mal. Maintenant que les températures ont remonté, on attend une pluie de printemps, une de ces pluies chaudes sous lesquelles on apprécie de se faire doucher en humant l'odeur de la poussière mouillée. Une pluie qui réveille en nous l'énergie de la semence qui germe. Une pluie que le cousin Jules Herbert aurait qualifiée "d'or en barre".

C'est cette pluie là que j'aurais espéré pour attendrir la terre croûtée qui enserre les petites betteraves. Mais je ne veux plus y penser. Fin 2007 les grosses arracheuses ont quitté les champs définitivement. L'évolution industrielle a conduit à fermer encore une sucrerie, à Condé sur Suippe où nos betteraves étaient travaillées.

Nous avons été indemnisés pour arrêter la production. Entre Marle et Saint-Erme, 50 % des surfaces ont disparu.

Notre conversion en agriculture biologique ne nous permettait pas de continuer la culture des betteraves sucrières. La rentabilité betteravière s'était peu à peu érodée, mais la fascination pour cette culture demeure.

Le XIXe siècle est l'époque pionnière de la betterave à sucre. En pleine crise agricole, vers 1880, la sucrerie de Missy-lès-Pierrepont prend à bail les terres des 2 fermes de Chantrud pour assurer l'approvisionnement en betteraves de son usine. En 1911, la sucrerie cède les terres à M. Charles Boquet. Nos arrières-grands-parents arrivent à Chantrud.

La grande guerre va interrompre la production betteravière. Il n'y a plus assez de main-d'oeuvre pour la récolte en 1914 et durant le conflit, toutes les sucreries du département de l'Aisne seront détruites ou démantelées.

Dès 1919, la vie reprend, avec peu de moyens, et en 1920, il est possible de produire du sucre de betteraves. A Chantrud, les premières betteraves d'après-guerre vont partir à Bucy-le-long, par le train, après avoir été livrées en gare de Verneuil sur Serre.

Puis, la râperie de Puisieux est réparée. Elle livre le jus des betteraves à Aulnois, par canalisation, après les avoir râpées et pressées. Un réseau de voies ferrées étroites, les fameuses "voies de 60 Décauville", est mis en place à travers la plaine avec un terminal à Chantrud. Cela durera jusqu'après la seconde guerre mondiale puis le transport par route prendra le relais. La livraison se fera directement à Aulnois, puis à Condé-sur-Suippe, au fur et à mesure des restructurations industrielles.

Entre temps, la culture a évolué aussi. La nombreuse main-d'oeuvre qui accomplissait un travail pénible a progressivement cédé la place a un matériel de plus en plus performant.

Mais la petite betterave reste toujours une plante fragile qui souffre dans la sécheresse du printemps. Le printemps où les éléments vont se conjuguer pour assurer ou pénaliser le rendement. L'agriculteur qui prie pour la pluie craint aussi pour la grêle. La récolte ne serait pas si belle si elle n'avait été préparée avec soin, espérée et enfin sauvée.

 

Yves Vuilliot (1 mai 2010)